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Encre d'époque.
1 février 2019

"Le loup, une histoire culturelle" de Michel Pastoureau

 

Le loup une histoire culturelle

 

Résumé :

Dans l'imaginaire européen, quelques animaux jouent un rôle plus important que les autres et forment une sorte de « bestiaire central ».
Le loup en fait partie et en est même une des vedettes. Il occupe déjà cette place dans les mythologies antiques, à l'exemple de la louve romaine, qui a nourri Romulus et Rémus, du loup Fenrir, destructeur du panthéon nordique, et des nombreuses histoires de dévorations, de métamorphoses et de loups-garous. Ces derniers sont encore bien présents au Moyen Âge, même si la crainte du loup est alors en recul. Les bestiaires dressent du fauve un portrait négatif et le Roman de Renart en fait une bête ridicule, bernée par les autres animaux et sans cesse poursuivie par les chasseurs et les paysans. La peur du loup revient à l'époque moderne. Les documents d'archives, les chroniques, le folklore en portent témoignage : désormais les loups ne s'attaquent plus seulement au bétail, ils dévorent les femmes et les enfants. L'étrange affaire de la Bête du Gévaudan (1765-1767) constitue le paroxysme de cette peur qui dans les campagnes ne disparaît que lentement.
Au xxe siècle, la littérature, les dessins animés, les livres pour enfants finissent par transformer le grand méchant loup en un animal qui ne fait plus peur et devient même attachant. Seuls la toponymie, les proverbes et quelques légendes conservent le souvenir du fauve vorace et cruel, si longtemps redouté.

Mon avis :

Que peut nous apprendre sur une époque un loup ? Pour qui n’est pas habitué à l’histoire cette question peut paraître saugrenue ; pourtant, dans ce livre, l’historien médiéviste Michel Pastoureau va nous montrer de manière simple, efficace et rapide, que le loup peut nous apprendre beaucoup sur l’époque qui l’utilise. La chose est rendue possible à l’historien grâce à sa recherche de codes récurrent, d’images employées, d’écrits, qu’il replace dans le contexte d’époque. Et après lecture de ce livre, le moins que l’on puisse dire c’est que le loup est bavard.

Pour débuter son livre, l’auteur va commencer par nous montrer ce que le loup renvoie comme image selon les régions et les époques. Partant des mythologies d’Europe en passant par le christianisme, l’historien va nous dévoiler les diverses images qu’il peut refléter dans les sociétés d'époque, - en sachant tout de même que les bons et mauvais côtés se retrouvent dans toutes les périodes.
C’est ainsi qu’on découvrira pour commencer, que dans la mythologie nordique il possède une image plutôt négative à cause de la légende de Fenrir, alors que dans les mythologies grecque et celte, l’image est plutôt bénéfique puisqu’il accompagne régulièrement les dieux celtes comme Lug ou Cernunnos dans leurs déplacements, et est un attribut d'Apollon. Alors qu'avec Rome c'est encore une autre histoire, l'image est double.
Avec le christianisme cependant, l’image tend à se stabiliser. Si la Bible est peu prolixe à son sujet, les hommes d’église par la suite sont plus bavards. Ils font du loup un faux prophète ou un animal rusé, et s’en servent aussi pour mettre en évidence la puissance des hommes de Dieu face au mal, comme dans la légende de Saint Blaise. Toutefois, comme le montre cet extrait ci-dessous, l'image du loup peut être adoucie pour calmer l'imagination des populations d'époque.

"L'histoire lupine la plus célèbre de l'hagiographie médiévale est celle du loup Gubbio, en Ombrie, un loup colossal, vorace, insatiable et particulièrement cruel qui terrorisait la ville et la contrée. Saint François d'Assise (1181-1226), qui avait eu vent de ce fléau, vint à la rencontre de la bête et lui parla chrétiennement. Il l'appela "Frère loup", lui reprocha son comportement, tout en reconnaissant que c'était la faim qui le poussait à agir ainsi. Puis il demanda de s'amender et de faire la paix avec les habitants de Gubbio, qui en échange, promit-il le nourriraient. Le fauve ferma son énorme gueule, inclina la tête, s'agenouilla devant la le saint et fit comprendre qu'il se soumettait. Le pacte fut respecté : les gens de Gubbio donnèrent régulièrement à manger au loup, qui désormais vécut familièrement parmi eux et devint une sorte d'animal protecteur de la cité. Quand il mourut de vieillesse, il fut pleuré de tous les habitants. Tuer le loup, le diaboliser, le domestiquer : telles ont été les premières stratégies médiévales pour lutter contre le fauve et contenir les peurs - justifiées ou non - qu'il faisait naître. Mais cela n'a pas suffit. A l'époque féodale, les clercs ont donc eu recours à un autre moyen pour le rendre moins effroyable et menaçant : le bafouer, l'humilier, le ridiculiser. Ce fût le rôle des fables et des contes d'animaux, particulièrement du Roman de Renart." P.44

Tout cela est certes bien beau, mais sachez que l’auteur va au-delà de l’image que le loup renvoie dans les religions et mythes. Ne fuyez pas encore ! La suite est meilleure.
En effet, il va montrer comment dans le domaine temporel les loups ou au moins le son du mot, va être utilisé sur quelques blasons de riche famille afin de faire référence au nom de famille ou au prénom, où toutefois le loup y garde sa force brutale.
"C'est en Navarre et en Galice que les armoiries au loup sont les plus nombreuses. Il ne s'agit pas tant d'un emprunt à la faune locale (les loups abondent dans les forêts du nord de l'Espagne) mais d'un usage fréquent à toute l'Europe : choisir une figure héraldique dont le nom forme un jeu de mots avec celui de la famille ; de telles armoiries sont dites parlantes". P. 84

Néanmoins, si dans l’image il garde sa puissance, dans la littérature il en va tout autrement. Bien sûr dans les fables (même dans les fables antiques) et les contes qui remontent à cette époque comme le Petit Chaperon rouge (an mil), le loup est encore féroce. Cependant, l'auteur va nous montrer que dans le temps sa représentation peut changer, et servir par exemple à moquer la politique, les moeurs nobles, comme on le voit à l’époque Féodale dans le Roman de Renart (écrit comme ses représentations).
Outre ceci et toujours dans le domaine temporel, Michel Pastoureau va aussi nous faire découvrir que le loup peut même être le sujet d'écrits scientifiques comme l'atteste certains bestiaires de médecine, et même être un livre de stratégie amoureuse comme dans le Bestiaires d’Amour, quand il n'est pas seulement une source de croyance et de superstition.
Des croyances et superstitions que l'époque actuelle essaye de faire disparaître en réhabilitant le loup dans l’opinion publique. Les religions européennes étant lointaines, les contes pour enfants ou encore certains travaux de zoologues participent effectivement à améliorer son image.
"Du XV au XVIII siècle, les loups constituent partout, ou presque, un fléau, et leurs victimes ne sont plus seulement des moutons ou des chèvres, comme dans l'Antiquité ; ce sont des enfants, voire des adultes lorsque sévit la rage. Tous documents d'archives, tous les registres paroissiaux, toutes les chroniques, l'affirment et le confirment : sous l'Ancien Régime, lorsque certaines circonstances sont réunies - hivers interminables, famines épidémies, guerres - les loups attaquent les humains et mangent les cadavres des soldats. le nier, comme le font aujourd'hui certains éthologues et zoologues, est malhonnête." P.107

Les religions lointaines, OK. Vous vous demandez peut-être pourquoi je vous ai dit cela.
Tout simplement parce que le contexte a énormément joué dans la peur ou la méfiance du loup, et la religion n’y est bien sûr pas étrangère avec ses écrits comparatifs, ou encore avec la chasse au loup-garou qui se fait en même temps que la chasse aux sorcières dès la fin du Moyen-âge. Toutefois, Michel Pastoureau va montrer comment la conjoncture joue aussi sur la peur du loup.
En effet, l'auteur a remarqué que les crises climatiques, agricoles, sociales, favorisent cette peur, puisque la faim les fait rôder proche des villes et villages, et les rend particulièrement féroces. Ce qui lui permet d’affirmer cela, c’est aussi le fait que pendant deux siècles (12 et 13ème) la peur du loup semble diminuer avant de revenir vers la fin de l'époque médiévale. Ces deux siècles correspondant effectivement a une accalmie, puisque cette période est marquée par une reprise de la culture, la puissance des villes… avant que la guerre de 100 ans, le retour de la peste et le schisme d’occident renversent toute cette stabilité. Tout ça dès le 14ème siècle. Ils ont été gâtés à l’époque !

Temporel, spirituel, conjoncturel, mythique, littéraire, voilà donc le panel d'approche que propose ce livre. Tout cela est certes parfait, mais avant de finir je dois dire que ce livre possède un autre petit atout : l'auteur va aborder rapidement ses autres domaines de recherche comme les couleurs. Ceci va lui permettre de battre en brèche des petites choses avancées par des psychanalystes tarés sur les contes, mais aussi chemin faisant, nous donner l'envie de lire ses autres livres sûrement tous aussi passionnants (ça tombe bien, j’en ai trois autres sous la main).

En résumé, c’était une lecture très enrichissante. Autant visuellement qu'en connaissance. L’auteur nous donne pour l’Europe la longue évolution du loup dans les divers supports d’expression, en abordant tant le côté légendaire que scientifique d’époque, sans oublier l'époque contemporaine. Un livre à lire donc, et à lire sans peur de se faire croquer.


Merci à Babelio et aux éditions du Seuil.

Extrait :

"La bibliographie consacrée à ce conte [le chaperon rouge] est un océan. Peu d'exégètes cependant se sont intéressés à la question essentielle, celle de la couleur : pourquoi rouge ? Il est possible d'avancer plusieurs réponses qui, loin de se contredire ou de s'infirmer se complètent et s'enrichissent. Le rouge peut tout d'abord revêtir une fonction emblématique, c'est-à-dire caractériser l'ensemble du récit et annoncer sa fin tragique : c'est le rouge de la violence, de la cruauté, des chairs sanglantes déchirées par le loup. Préférables cependant sont les explications de type historique. Ainsi l'habitude en milieu rural de faire porter aux enfants une pièce de vêtement rouge pour mieux surveiller ; ou bien la coutume pour une jeune fille de revêtir les jours de fête sa plus belle robe : or une belle robe est toujours une robe rouge. Peut-être en va-t-il pour notre conte : pour se rendre chez grand-mère, circonstance festive, elle porte son plus beau vêtement, un chaperon rouge. Une explication savante est encore plus solidement fondée : celle qui associe la couleur du vêtement et le rouge de la Pentecôte. Une version ancienne du conte précise en effet que la petite fille est née le jour de la Pentecôte : on peut imaginer que dès sa naissance, un jour exceptionnel et de si bon augure, elle a été vouée au rouge, couleur de l'Esprit-Saint. Ce rouge protecteur serait censé éloigner les forces du mal. Il n'a pas mal rempli son rôle.
Pus fragiles sont les hypothèses avancées par la psychanalyse, notamment Bruno Bettelheim dans son ouvrage célèbre la Psychanalyse des contes de fées. Le rouge du chaperon aurait une connotation sexuelle : la fillette ne serait plus une jeune enfant mais une adolescente pubère ou prépubère qui "aurait très envie de se retrouver dans le lit avec le loup" [...]. La dévoration sanguinaire dans le lit serait une métaphore de la perte de la virginité : la jeune fille n'aurait pas tant perdu sa vie que son innocence. [...] Une telle explication, maintes fois reprise et développée, laisse l'historien perplexe. Non pas à cause de son côté racoleur, mais en raison de son caractère anachronique. Depuis quand le rouge est la couleur des premiers émois sexuels ? Il est permis de se le demander. Certes, cette couleur est depuis longtemps celle de la luxure et de la prostitution, mais ce n'est pas ce qui est en jeu dans ce conte. Au Moyen Âge, lorsque apparaissent les plus anciennes versions de cette histoire, les premiers élans des sens ne sont pas associés au rouge mais au vert, couleur symbolique des amours naissantes et des sexualités enfantines." P. 100-102

 

Source: Externe

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