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Encre d'époque.
17 février 2021

Cléopâtre : la reine sans visage de Frédéric Martinez

 

« Encore. Et encore. Fuir. Toujours fuir. Est-ce donc-là de destin d’une reine, d’une déesse ici-bas ? La femme la plus riche du monde ne possède pas ce bien si rare et qui ne s’achète pas en drachmes ou en sesterces : la tranquillité d’âme. Ce paysan dans son petit domaine qui veille sur ses figuiers et ses oliviers, ce propriétaire d’un coteau inondé de soleil qui élabore son vin modeste sont plus heureux qu’elle, j’en jurerais avec Horace. Certes ils n’ont ni palais ni galères, ni triomphes ni banquets, mais la gloire d’un ciel bleu, d’un couchant doré leur échoit sans partage. Ils n’ont pas besoin de courir les mers tempétueuses pour chercher fortune. Il ne leur arrive rien. Ils deviennent vieux, noueux comme des oliviers bourrelés de soleil et tombent un beau jour parmi les blés mûrs, sur un chemin poudreux où le soir descend. Les corneilles craillent et puis plus rien, on entend plus parler d’eux. Ils ne sont pas dans les pages de Plutarque ou de Suétone qui n’en n’ont rien à faire, en pincent pour les caïds en manteau pourpre. »
p. 223.

 

Cléopâtre une reine sans visage

 

Résumé :

 

Luxe, calme et volupté ne furent pas le quotidien de la plus puissante femme du monde méditerranéen. Les morts violentes, les trahisons, les défaites jonchent la course de Cléopâtre, jusqu'à la scène qui se joue à Actium, le 2 septembre 31 av. J.-C., et au dénouement tragique qui suit la bataille. Cléopâtre, déesse reine d'Égypte, offre ainsi, outre son profil de médaille que casse un nez busqué, un des plus poignants destins de l'histoire antique. Pour le restituer, rendre toutes ses nuances à ce moment d'histoire dont Cicéron déjà s'était emparé avant qu'il ne soit fixé en technicolor par la machine à rêves hollywoodienne, il fallait la plume fine, puissante et libre de Frédéric Martinez. Du palais des Ptolémées au Sénat de Rome, l'auteur offre ainsi la saisissante fresque de la fin d'un monde et de la naissance d'un empire.

 

Mon avis :

 

Cléopâtre. Qui n’a pas entendu ce nom au moins une fois dans sa vie ? Savon, colle, Liz Taylor, Astérix, Shakespeare, nous avons tous une image qui nous revient de cette reine d’Egypte - septième du nom - quand ce nom résonne à nos oreilles. Mais derrière cette femme fatale, cette tragédie antique, qui était vraiment Cléopâtre ? Une reine assurément, mais elle fut aussi bien plus que cela. Effectivement, Cléopâtre c’est l’intelligence froide et charmeuse, une beauté qui n’a pas froid aux yeux, une personne courageuse et étonnante, une politicienne qui ne fera pas toujours les bons choix.

 

Ce livre se propose d’être une biographie sur Cléopâtre, de fait il en est une. De son enfance à sa mort, l’auteur nous propose de (re) découvrir le portrait, plus politique que physique, de cette reine d’Egypte. Pourquoi plus politique ? Car au final nous ne savons pas grand-chose de son physique qui fera tourner plus d’une tête, et en fera tomber d’autres…
Car en effet, par son charme et son intelligence Cléopâtre VII a assurément pu gouverner l’Egypte. César ou encore Marc-Antoine furent autant des amants que des possibilités politiques, mais grâce à ses dons de la nature, cette envoutante reine a pu aussi éliminer beaucoup de ses adversaires politiques. Sa sœur Arsinoé, l’usurpateur Ptolémée ou encore quelques proches de Marc Antoine en feront les frais…
Mais n’allons cependant pas croire que la politique de Cléopâtre n’a pour seul atout son physique. En effet, comme l’auteur l’indique, Cléopâtre fut une reine fort intelligente ; ayant eu parmi les meilleurs précepteurs de son pays, il faut bien avouer que pour avoir survécu aussi longtemps dans ce panier de crabe et de crocodiles sacrés, le miracle seul ne suffit pas... Néanmoins, cette intelligence ne va pas sans défaut. Des erreurs elle en fera.

Par ses erreurs, comme le soutient offert à Pompée, l’arrogante sera la première actrice de son destin funèbre. Trop fière pour s’avouer qu’elle fait fausse route, trop enjôleuse pour les réalités de la guerre, beaucoup de mauvaises décisions seront prises par sa faute avant son dernier ballet marin à Actium en -31.


 

jean léon gérôme
Jean-Léon Gérôme, 1866, Cléopâtre devant César.

En même temps, ne lui jetons pas la pierre, car Marc Antoine ne fit pas mieux sous le regard de sa belle. Non seulement il ne s’impose pas, mais il change en mal.  Sous l’emprise de son impératrice, Marc Antoine n’est plus cet homme généreux et amical qu’il fut au temps romain. Sans doute que ses ennemis qui ne manquent pas de parole venimeuse pour critiquer cette reine lascive et froide, ont raison quand ils disent qu’il n’a plus toute sa tête, que ce serpent du Nil a éteint en lui le romain. Cette ensorceleuse a soumis Marc Antoine à sa loi qui devient irascible et tourmenté. Mais il est coupable autant que sa compagne.

 

« Il expédie les affaires politiques et pour tout dire il fait n’importe quoi. Il lève en Syrie des impôts exorbitants, lorgne sans succès Palmyre, cité réputée pour sa richesse au carrefour des routes caravanières. Il sème le trouble en Judée, se mêle de politique intérieure pour remplir ses caisses. Il donne le pire de lui-même. Il est Dionysos Carnassier et Sauvage. Il inspire l’effroi. Et la haine. Exécutions sommaires, rapines rebaptisées tributs le rendent impopulaire dans toutes l’Asie. Ce fâcheux épisode ternit sa légende. Il s’en moque. A 43 ans, cet étudiant attardé en plaisir supérieurs bâcle ses devoirs diplomatiques, veut faire l’Egypte buissonnière au bras de sa maîtresse ». pp 257-258.

Mais revenons-en à Cléopâtre. Que cette diablesse soit donc largement responsable de la défaite égyptienne à Actium c’est un fait ; après tout n’a-t-elle pas écarté ses ennemis plus avisés qu’elle, quand ils lui disaient qu’un combat sur l’eau ce n’était pas une bonne idée ? Pourtant, ne croyons pas que ce livre est à charge contre cette belle antique ! Puisque incontestablement, l’auteur sait en faire ressortir toute la majesté, la richesse, l’intelligence, l’entêtement… pour la draper de toutes ces qualités infernales.
Cléopâtre la cajoleuse, Cléopâtre l’actrice, Cléopâtre la calculatrice… renaît sous l’écriture au fil des évènements. Cela n’a rien de pendable ni d’antiféministe, après tout c’est une politicienne, elle n’est pas différente des politiciens. La politique impose des choix et un comportement. C’est une lionne protectrice et belliqueuse qui se dessine devant nos yeux, et fallait bien en faire ressortir cela.

 

« Il n’en est rien sans doute, la culpabilité n’est pas un article d’Alexandrie et Cléopâtre n’a rien d’une Lady Macbeth au soleil. Elle a des désirs, pas de remords. Sa vie est une fête barbare jonchée de fleurs de sang. Pas de quartier pour les vaincus. Pas de limites pour les gagnants ». p. 271

Est-il permis ou possible d’écrire sur Cléopâtre sans s’attarder sur les personnages qui la côtoie, qui la haie, qui la protège ? Non, bien évidemment. C’est ainsi que sous la magnifique plume de Frédéric Martinez vont revenir à la vie Octave, Antoine, César, Ptolémée XII, et d’autres moins connus comme Arsinoé, Agrippa, Lépide, Octavie, etc.
Les intérêts des uns et des autres, les lâchetés, sont mises en avant. De fait, grâce à cela nous allons en découvrir davantage sur l’Egypte de Ptolémée XII, pharaon fantoche qui ruina et exaspéra son pays pour Rome. Nous en découvrirons également plus sur Rome qui accueillit ce pharaon temporairement en exil, et demanda l’aide politique du sénat pour lutter contre sa fille Bérénice. Mais Rome, la ville éternelle, ne semble pas bien pressée, l’aide est interlope. Est-elle déjà un peu l’ombre de sa République ? César, Pompée, Octave l’ont sans doute compris avant d’autre…

L’auteur fait donc revivre chaque personnes, chaque situations – chacune avec ses impératifs et particularités –, avec un souci du détail agréable. L’exaspération des égyptiens qui en ont marre de Rome comme de leur reine, pendant que eux vivent dans une profonde misère qu’est venue alourdir une disette, n’aura plus vraiment de secret pour vous. La haine de Rome contre l’égyptienne (mais aussi Marc Antoine) également. Pas plus que la mentalité  de l’époque, les codes et la praxie de cette mythologie égyptienne compagne de la Grèce.
Pour Rome cela n’est pas différent, un présage parle pour un autre quand il ne parle pour personne.
J’insiste sans doute, mais nous avons-là vraiment toute la résurgence des enjeux et des sentiments, du contexte, des cœurs, des mentalités, et tout ceci rend cette biographie particulière complète et vivante pour notre plus grand bonheur.

 

Image illustrative de l’article Pyramides de Gizeh
 

Avant de finir un petit mot sur l’écriture. Nous nous en doutons, l’histoire nous a laissé des trous : les gestes, les sourires, les paroles, sont plus souvent écrits sur le sable que sur le marbre de l’histoire. L’auteur complète donc le tableau avec son intuition, sa connaissance de la nature humaine, sans oublier d’omettre parfois qu’il n’en sait rien mais que ça lui plaît d’imaginer ainsi. Cette écriture à sensation, où la poésie et le mélange des mots produisent leur petit effet poétique, qui se joint à celle plus scientifique de l’Histoire, produit sur le lecteur un effet enchanteur où parfois nous avons plus l’impression de lire un roman qu’une biographie bien sérieuse. Pourtant, c’est extrêmement sérieux.
Et pour la première fois de ma vie, j’ai mis deux mois à lire un livre. Cela n’avait pour seul dessein que de faire durer le plaisir. Voilà enfin quelqu’un qui manie les mots, les contradictions, les images, avec goût et talent. Tout Prix Nobel qu’il soit, Modiano peut aller se rhabiller. L’écriture dans sa forme la plus parfaite c’est Frédéric Martinez qui la possède, pas cet auteur de roman à l’écriture plate.

 

En résumé c’est une biographie historique vivante, sérieuse, enchanteresse, qui navigue parfois à vue car l’histoire a laissé des grands trous et que l’imagination entre Hollywood et la littérature a fait le reste. Mais même si vous n’aimez pas Hollywood, rien ne justifie de passer à côté de cette perle.


Editions Passés Composés.

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