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Encre d'époque.
17 avril 2020

Le monde d'Ulysse de Moses I. Finley

 

 

 le monde d'ulysse

Résumé :

Le monde d’Ulysse, celui que racontent l’Illiade et l’Odyssée, était-il celui des rois et des palais mycéniens (1400-1200 av. J.-C.) ? Ou bien celui que connut Homère dans la seconde moitié du viiie siècle av. J.-C. ? Ou bien encore un monde purement imaginaire ?
Moses I. Finley montre que, si la société dépeinte dans les poèmes a réellement existé, elle n’était ni celle du monde mycénien, ni celle de l’époque archaïque, mais celle, intermédiaire, des siècles obscurs (xe-ixe siècle av. J.-C.). Magicien de l’histoire savante, il reconstitue pour nous l’époque des ténèbres, décrite dans ses structures économique, sociale, politique et religieuse.
Un classique d’histoire et de sociologie de la Grèce ancienne.
Moses I. Finley (1912-1986)

Professeur à l’université Rutgers aux États-Unis, il en fut exclu à l’époque du maccarthysme. Installé en Grande-Bretagne en 1954, il devient professeur à l’université de Cambridge.

Mon avis :

 Historien antiquisant Moses I. Finley  né aux Etats-Unis, est spécialiste sur la Grèce Antique comme en atteste sa nombreuse bibliographie : Les anciens grecs ; L’économie antique… Historien qui n’hésite pas à croiser les sciences humaines pour faire évoluer son domaine de recherche, pour l’écriture de son livre Le monde d’Ulysse Moses I. Finley s’est inspiré d’après le site internet Anabase spécialisé sur le monde antique, des travaux des anthropologues Bronislaw Malinowki, Richard Thurnwald, et particulièrement de sa relation intellectuelle avec Karl Polanyi qui travaillait sur l’échange et la circulation des biens dans des sociétés non capitalistes.
            Son rapport avec le socialiste Karl Polanyi qui lui valut un exil en Angleterre en pleine Guerre Froide, n’empêche cependant pas l’auteur de travailler à de nouveaux livres dont Le monde d’Ulysse où ce dernier cherche à mettre en avant l’idée que l’Odyssée et l’Iliade raconte l’âge obscur avec quelques anachronismes. Ce livre possède toutefois une double fonction, puisqu’il cherche aussi à offrir aux étudiants et au grand public une approche de la société homérique selon l’auteur.
            Publié en France en 1969, soit 15 ans après sa sortie américaine en 1954 grâce à des antiquisants et une maison d’édition très ouverte à gauche : les éditions Maspéro. Ce livre dédaigné par les Annales  - peut-être parce qu’il est américain et que les Annales, dont Lucien Febvre, peuvent se montrer opposées à l’impérialisme intellectuel américain dans les années 50-60 -, a été depuis plusieurs fois réédité grâce à son succès et sa réflexion nouvelle sur l’approche des textes homériques.

            Dans ce livre, Moses I. Finley cherche donc à démontrer que les textes homériques ne sont pas de l’époque mycénienne, mais sont de l’époque obscure qui s’étend du 12ème au 8ème siècle environ. Pour se faire, l’auteur est parti de l’idée que les tablettes en Linéaire B ne racontaient pas l’époque des combattants de Troie, mais l’époque antérieure mycénienne avec un fonctionnement bien différent. Partant de ce postulat, qui se révèlera visiblement juste, Moses I Finley a donc tenté grâce à des croisements de discipline et des réflexions personnelles, de tracer la frontière entre le réel et le mythe des textes homériques, et ceci à travers l’approche des mentalités, de la pratique poétique, de l’économie, de la création du peuple grec, etc.
A travers cinq chapitres, l’auteur va commencer par remettre ces deux textes antiques dans leur contexte historique et culturel. Il en ressortira pour commencer la place de l’Iliade et de l’Odyssée dans la Grèce antique, qui montre la valeur d’un homme si on lit Xénophon, mais aussi ce qu’on leur reprochait déjà à l’époque où certains grecs y voyaient la « glorification de la piraterie » (p.83). Dans le même temps on remarquera aussi la suspicion qui règne sur ses textes à travers l’approche de l’historien Hérodote qui critique l’absence d’esprit critique avec la figure d’Hercule en Egypte, quand d’autre parle de réécriture.
En outre dans cette partie, on (re)découvrira qu’Homère n’est pas un seul homme, mais plusieurs hommes - au moins deux - qui ont chacun leur écriture et qui ne sont accessoirement pas de la même époque, les deux textes n’étant en effet pas ouvert sur le même horizon.
Toujours dans cette partie de présentation, l’historien va aborder la figure de l’aède, ceci en appuyant son propos avec un comparatif plus « actuel » : un barde serbe qui va lui permettre d’aborder la tradition artistique poétique. Via ce fil, Finley va chercher par ce biais à expliquer les redites dans les textes d’Homère qui servent de repère à l’auditoire, et à mieux faire cerner au lecteur la longue tradition poétique qui se cache derrière un exercice d’expression qu’on imagine pas si compliqué.

Ulysse et les sirènes sur la mosaïque de Dougga ~~ Navires ...
Ulysse et les sirènes. Mosaïque

Ensuite, une fois passé le premier et le deuxième chapitre qui parle des aèdes pour expliquer la prose, la base et la prouesse orale que demande cet art, Moses I Finley dans les trois derniers chapitres, en arrive clairement à la substance des textes homériques avec une approche plus réflexive. En effet, à travers « richesse et travail », « domaine, famille et communauté », « mœurs et valeurs », le lecteur verra entre autre chose émerger des textes antiques : une société avec ses frontières entre les Hommes où chacun a sa place ; ses réseaux où le don crée les liens et remplacent d’après l’auteur l’écriture des traités ; la circulation des marchandises ; sa hiérarchie où par exemple l’esclave et le thète sont au plus bas de l’échelle, mais qui représente tant dans son fonctionnement que dans son image un miroir de l’Olympe.
A travers toutes ces approches on constatera donc bien que personne dans cette société obscure n’est égal au sens où on l’entend aujourd’hui, et on imaginera même difficilement que la mobilité sociale existe avant la naissance de la démocratie. Mobilité sociale qui ne peut exister au demeurant, étant donné que les siècles obscurs sont assez pauvres en richesses et échanges, et rend donc la création de réseau nouveau difficile. Bref, on voit que tout est étroitement imbriqué et que le manque d’un maillon dans la chaîne rend difficile de sortir de son rang. On peut peut-être tomber d’en haut, par exemple avec le cas de Télémaque si l’histoire avait été différente, mais rarement partir du bas vers le haut.

Ces trois derniers chapitres sont donc très enrichissants, car on aborde le monde paysan, le monde de la cité, la politique, le commerce, le troc, les mentalités, les réseaux… On s’amusera même à remarquer que des pratiques ou des idées ont traversé les siècles et qu’encore aujourd’hui on a gardé la pratique du don pour créer ou marquer des liens.      
           
Cependant si ces cinq chapitres sont excellents, notamment grâce aux comparaisons que l’auteur utilise pour appuyer son propos et baser sa réflexion comme avec La Chanson de Roland. Il est malgré tout difficile pour une personne non experte de voir où le récit pêche.

Toutefois et outre le fait que l’auteur dit que les textes comportent quelques anachronismes, on peut s’étonner de quelques réflexions qui font se demander s’il limite bien la réalité du mythe, l’imagination des auteurs du concret. Par exemple, quand il parle de la vacance du trône d’Ithaque pendant 20 ans, j’ai eu du mal à croire que cela fût possible alors que l’ambition des hommes veut qu’un trône ne reste jamais vacant longtemps et qu’un chef finit toujours par sortir du lot et s’imposer, surtout en l’absence de successeur fort car la force c’est le pouvoir et le respect (Télémaque n’est en rien cela). De plus, quand on compare ces textes mythiques à d’autres héros grecs pas moins mythiques, on remarquera qu’il y a plus d’un meurtre pour un trône : Eson se fait usurper le trône par son frère ; Egisthe gouverne à la place d’Agamemnon à la demande de ce dernier et le tuera ; Etéocle tue Polynice pour une ville, Thèbes ; donc pourquoi Ithaque serait différente ? Du coup, lorsqu’on remarque la place que laisse le meurtre dans les textes antiques, et que l’on voit de surcroît que ça a été très pratiqué dans des sociétés diverses en vrai (Mérovingien, Ottoman…) la lectrice que j’ai été a eu du mal à croire que le royaume d’Ithaque soit resté sans chef pendant 20 ans et qu’à part quelques agapes très symboliques Télémaque n’en supporte pas plus.
Ceci est doublement difficile à croire quand Finley souligne qu’il n’y a pas eu de guerre de Troie qui a duré 10 ans, mais plusieurs guerres de Troie ; on peut légitimement se demander où est Ulysse, Roi d’Ithaque, pendant les pauses. Accessoirement que l'aède répète au public le nom des héros ne veut pas dire qu'il y a eu plusieurs Guerre de Troie. En effet les récitations se faisant sur plusieurs jours, le public change. Il faut donc bien tenir au courant les nouveaux arrivants.
Enfin, un autre défaut, on peut regretter que l’approche religieuse soit un peu évincée, alors que l’époque se prête au développement de la religion grecque et que les dieux sont partout dans ces textes.           

Poséidon, le dieu grec de la mer - Lepuitsdesciences
Poséidon.

            Pour finir sur Le monde d’Ulysse, on peut saluer la longue biographie très adaptée au public francophone qui indique que l’épopée homérique et l’histoire de la Grèce antique sont des champs d’étude ancien et prolixe, et que l’auteur s’inscrivait dans cette longue tradition d’étude et de réflexion, bien qu’il possédait une approche nouvelle en prenant les textes homériques pour des textes historiques. Cependant à notre époque elle n’est peut-être plus de première fraîcheur, ce livre mériterait donc sûrement d’être réactualisé.

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