Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Encre d'époque.
1 juillet 2019

"Le sabordage de la noblesse : mythe et réalité d'une décadence" de Fadi El Hage

 

 

le sabordage de la noblesse fadi el hage

Résumé :

Au XVIIIe siècle, la noblesse française comme l'aristocratie, minorité ô combien plus "médiatisée", sont perçues comme décadentes par la grande majorité du peuple de France. Rongée par les dissensions internes, minée par les rumeurs et les scandales, contestée dans sa légitimité à revendiquer une supériorité sociale, la noblesse paraissait au plus grand nombre indigne de sa vocation à servir le royaume. Elle vivait alors la clôture d'un cycle, dont 1789 ne serait que l'ultime conséquence. En somme, et l'image perdure jusqu'à nos jours, la noblesse, en dérogeant à l'honneur, aurait perdu sa raison d'être. Mais y avait-il, dans les faits, une inconscience collective de la noblesse ? Pour démêler le vrai du faux, Fadi El Hage retrace son histoire au XVIIIe, dans toutes ces composantes, de l'aristocratie versaillaise aux vieilles familles prestigieuses mais désargentées, sans oublier la noblesse de robe. Fondé sur une relecture des sources et l'étude de documents inédits, cet essai novateur invite le lecteur à s'interroger sur la place et le rôle d'une noblesse victime autant de fantasmes que de l'image sociale et morale qu'elle renvoyait au public.

Mon avis :

 La critique de la noblesse ne date pas de l’époque moderne, déjà lors de la Guerre de Cent Ans elle avait été critiquée pour ne pas remplir son rôle. Au 18ème siècle, la litanie revient avec peut-être plus de force qu’avant étant donné la multiplication des écrits (journaux, romans, mémoires…) et la progression de l’alphabétisation dans les villes. Cette critique venant de tous les côtés, y compris de la noblesse, que raconte-elle exactement ? Que nous indique-t-elle sur ce siècle qui va se clore par la Révolution ? A toutes ces questions, Fadi El Hage va y répondre à travers plusieurs points.

Critiques :

Pour commencer, Fadi El Hage va nous montrer que la critique de la noblesse vient autant de l’opinion publique que de la noblesse elle-même, - qui ne supporte pas pour une partie d’entre-elle cette perte d’identité.
Que dénonce cette critique exactement ? Le comportement décadent de la noblesse à qui on reproche de préférer l’oisiveté, l’argent, le luxe, le pouvoir, au mépris des intérêts de la nation et de la vertu.
Ces reproches peu glorieux, et qui malgré les rumeurs et les exagérations ne sont pas immérités pour autant, indiquent déjà à l’époque que la noblesse en se comportant de manière si basse, si frustre, ne peut plus se prévaloir de sa supériorité ni expliquer ses privilèges. Surtout quand à côté la petite noblesse, la bourgeoisie, a autant voire plus de mérite.

Expression de la critique :

Cette critique et vision de la noblesse sont certes intéressantes à découvrir, mais si on peut les étudier aujourd’hui c’est notamment grâce aux écrits qu’elles ont laissé, et ce qu’on peut dire là-dessus c’est que l’historien Fadi El Hage a tapé large dans ses recherches. En effet, des mémoires plus ou moins directes, au roman comme Manon Lescaut en passant par la réflexion historique avec Montesquieu, l’auteur va montrer que tous les supports peuvent servir à l’approche critique de la noblesse. Montrant de ce fait que la situation interroge et interpelle déjà pas mal à l’époque.
"L'oisiveté représentait un danger. Louis-Antoine Caraccioline dit rien d'autre dans son roman moraliste Les Derniers Adieux de la maréchale de *** à ses enfants (1769), dans lequel il lance un appel à la jeune noblesse d'épée :
Vous êtes les descendants d'une multitude d'aïeux que la Patrie compte au nombre de ses héros : leur sang ne circula dans leurs veines que pour se répandre et pour guérir les maux que l'ennemi faisait à l'Etat. C'est à ce prix qu'ils acquirent la noblesse dont vous jouissiez, et dont vous ne pouvez vous prévaloir qu'autant que vous les imiterez. On perd sa noblesse aux yeux de la raison et de la probité, quand on ne s'en sert que pour vivre dans le faste et dans la mollesse, que pour se donner des airs de hauteur et de fierté." p.87
T
outefois et comme va l’indiquer l’historien moderne, ces écrits ne sont pas que des critiques nobiliaires ou des mises en garde adressées à la noblesse. En effet, dans la ligné de Polybe et de l'anacyclose de Platon, les réflexions de l’époque comme celles de Fénelon, peuvent aussi être une critique du despotisme monarchique initié par Louis XIV, et qui a dévoyé l’organisation du pouvoir par la domestication de la noblesse. Fénelon va en effet reprocher à Louis XIV d’avoir donné le pouvoir à des bourgeois ou des plus petits nobles, et voudrait donc revenir à quelque chose de plus noble en fermant les portes à l’évolution sociale. Outre Fénelon, on pourrait aussi citer Saint Simon pour ses écrits contre la noblesse - qui cachent mal parfois un orgueil blessé -, mais aussi pour ses écrits qui donnent quelques réflexions politiques pour sortir la noblesse de l’impasse où elle s’est mise, par exemple quand il prêche pour une régularisation de la noblesse et des privilèges.

fénélon
Fénélon (1651-1715)

Vision globale :

Au-delà de la critique de la noblesse, ce que j’ai apprécié avec ce livre, c’est qu’il nous montre à voir la vision de la monarchie par les sujets. Et ce qu’on peut dire c’est que le roi perd en sacralité dans toutes les strates de la population, entre ceux qui critiquent le coût d’un sacre et ceux qui critiquent son comportement, tous les sujets, en tout cas une bonne partie, ont une opinion dessus.
D’ailleurs, et puisque je parle du comportement, il a été intéressant de découvrir que le mauvais comportement de la noblesse est en partie la faute du roi dans les esprits du temps. En effet, Louis XV en s'éloignant des armées et en se conduisant comme le premier des débauchés, ne donne pas l’exemple à sa noblesse, donc qu’elle aille mal, qu’elle ait un comportement décadent, c’est un peu normal quand on regarde le comportement du roi. 

louis xv
Louis XV (1710-1774)

Au-delà de la vision de la monarchie par les sujets, l’autre atout du livre c’est qu’il décrit la mentalité du peuple à la vieille de la Révolution. Grâce à cela, on sent déjà, et surtout à travers la petite noblesse (brimée notamment par l’édit de Ségur) et les roturiers, que les gens veulent être jugés pour ce qu’ils ont entre les deux yeux, pour leurs capacités réelles. On sent poindre une envie d’évolution sociale, que Louis XIV avait rendue possible, et le refus d’un code suranné qui exclut une bonne partie de la population des charges importantes parce qu’ils ne sont pas nés du bon côté.
Bref ! Fadi El Hage va montrer que l’idée d’égalité s’inscrit déjà dans les consciences et que la Révolution ne fait qu’acter ce qui était déjà en marche dans les esprits et un peu dans les faits, et de fil en aiguille cela sonné déjà la fin de la noblesse. D’ailleurs puisque je parle de la Révolution, l’auteur a une petite théorie sur son rapport avec les nobles plutôt intéressante, mais je n’en dirai pas plus.
Enfin et parce que la vision est plus globale en sortant de l'approche comportementale, il est intéressant de voir que la noblesse n’est pas décadente que par son comportement, les lois qui la régissent peuvent aussi poser des problèmes à sa durée, ainsi que la consanguinité et les mœurs.

Le mot de la fin :

En conclusion, on voit que la noblesse s'est bien sabordée d'elle même, même si les rumeurs ont parfois joué contre elle. On voit en outre que l'évolution des mentalités a aussi joué contre elle, et que cet ordre était finalement voué à s'éteindre car n'étant plus adapté au temps.
En Résumé, ce livre possède une approche large et complète de sa problématique, et il y aurait encore beaucoup à écrire dessus, je n'ai pas abordé la polysynodie, pas plus développé que ça la Révolution, la République des lettres, le pouvoir royal, les nobles et leurs activités, etc. Mais quoi qu'il en soit, j’ai beaucoup aimé la lecture de cet ouvrage qui donne à voir la noblesse et la Révolution comme on les a rarement vues. Indéniablement à lire, surtout qu’il se lit très facilement.

 

Les éditions Passés Composés.

 

Note :

parfait

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Encre d'époque.
Publicité
Archives
Newsletter
Encre d'époque.
Publicité