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Encre d'époque.
15 avril 2019

"A l'assaut ! La baïonnette dans la Première Guerre mondiale." de Cédric Marty

"Au mitan de la bataille.
Elle perce, et pique, et taille.
Verse à boire !
Pare en tête, et pointe à fond.
Buvons donc !"
Rosalie
de Théodore Botrel.

A l'assaut ! La baïonnette dans la Première Guerre mondiale Cédric Marty

Résumé :
"Baïonnette au canon ! " "En avant, à la baïonnette ! " Les conscrits de 1914 sont d'abord des fantassins, préparés à faire la preuve de leur bravoure lors d'assauts et de combats au corps à corps à l'arme blanche, où ils surpassent leurs ennemis et remportent la victoire. Pourtant, dans les tranchées, la réalité est tout autre. Sur un champ de bataille bien peu propice à l'héroïsme et face à la puissance destructrice des pluies d'obus, au feu de l'artillerie, aux attaques chimiques et aux raids de l'aviation, les soldats tombent en masse et sont tués à distance dans une guerre résolument moderne. Par-delà les mythes et les images d'Epinal, à hauteur d'hommes, la véritable histoire d'une arme devenue paradoxalement l'emblème de la Première Guerre mondiale.
Cédric Marty, docteur en histoire, travaille depuis plusieurs années sur l'histoire et les mémoires de la Grande Guerre.

Mon avis :
La Première Guerre mondiale (1914-1918), est une guerre qui marque une rupture dans "l’art" de faire la guerre. Contrairement à toutes les guerres européennes précédentes, elle n’est plus franchement de mouvement et d’assaut, et l’ennemi devient lointain voire invisible, même si ce schéma s'était déjà produit en 1870. La mitraille, l’aviation, le gaz, les tranchées, ne favorisent effectivement pas la proximité.

Partant de ce postulat, comment expliquer alors que la baïonnette soit encore mythique dans les premières années de la Première Guerre mondiale ? Cette arme d’assaut n’étant pas faite pour la guerre moderne où l’artillerie tient la plus grande place ; pourquoi reste-elle un symbole de cette guerre ?

 Les images de la guerre :
Avant d’aborder la baïonnette parlons d’autres sujets que le livre aborde, comme celles de la vision de la guerre et de l’image du soldat, qui servent à comprendre pourquoi la baïonnette reste une arme mythique. En effet, difficile de comprendre ce mythe sans un arrêt sur image, puisque dans l’imaginaire français comme dans les arts picturaux, la guerre est vue comme un choc, un assaut où s’entremêle les belligérants, une attaque au corps à corps qui fait l’Homme et l’honneur.
Cette image sûrement surannée en 1914, donne de ce fait une mauvaise image de ce qui attend les soldats au front, tant à la population qu’au haut commandement dans les bureaux. Et même si ces derniers finissent par se rendre assez vite compte que cette guerre n’a que peu de trait en commun avec celles du passé, - quand bien même l’époque contemporaine a comporté quelques guerres nouvelles -, la baïonnette reste malgré tout dans l’armement du poilu. Valorisée et connectée à une image forte du soldat et de son mental.
Par ailleurs, les chefs bien à l’abri aiment l’image que renvoie la baïonnette. Celle de l’escrime, du combat honorable, qui permet de rejeter cette guerre sale, de position, cette guerre allemande qui fait des terrassiers et non des hommes. Comme on le constate, l’imaginaire devant les faits reste très important, malgré l'évidence.

J’en arrive donc au soldat, le deuxième point important de la réflexion de Cédric Marty. Pourquoi le soldat ? Parce qu'à l'époque point de soldat sans sa baïonnette, car outre la représentation qu'on se fait de la guerre qui rend nécessaire la baïonnette, cette arme est vue comme un vecteur de force morale, que d’autres qualités comme l’intelligence, le physique parfait, l’agilité viennent compléter. Et bien sûr aucun ennemi n'y résiste.... Et surtout pas le soldat allemand lourd, passif, discipliné à l’excès, de fait peut apte à la guerre moderne qui demande de l’imagination, de l’adaptation, une rapidité de compréhension et de décision. D’ailleurs à lire les premiers journaux ils fuient tous en voyant la baïonnette. La chanson Rosalie ne raconte pas moins.
Bien évidemment cette image est fausse. Le soldat sait que la baïonnette ne fait pas de miracle, et il connaît la peur, la honte de ne pas être assez homme (cette guerre remet en question la virilité des hommes qui ont été bercés d’images viriles) ou de flancher devant l’épreuve. Sur ce point, l’auteur qui a fait un beau travail sur la mentalité du soldat, montre d’ailleurs à quel point le regard des compagnons d’infortune peut servir de béquille et encourager le soldat. Mais cela ne suffit pas toujours, la folie guette et le suicide aussi. (Oui, il y a des suicides dans les tranchées, souvent avant les assauts.)
Avec une telle vision que je ne fais qu’effleurer ici, on a déjà un aperçu de la vision de cette arme, de l’image qu’elle porte et de l’homme qui la porte. Mais quid de la réalité, sur le terrain ?

Source: Externe

Démystifier le mythe :
On s’en doute déjà, elle en est éloignée, et l’auteur va bien le mettre en avant en abordant notamment les statistiques qui indiquent que les morts et blessés par armes blanches - et donc la baïonnette (cette petite lame au bout de fusil) – ne font guère de dégât. Ceci s’explique par le fait que les armes à feu frappent plus vite et de plus loin. Le plus étonnant c’est que non ignorées par les Etats, ces statistiques ne changent pas l’opinion de l’état-major sur l’intérêt de cette arme et les discours qui vont avec, comme en atteste la mise en place d’exercice militaire à la baïonnette. Bien qu'en parallèle et avec les années de guerre l'image de l'efficacité de la baïonnette tend à s'effacer.
Outre ceci, l’historien va aussi présenter le décalage entre le haut commandement, et la guerre réelle et non rêvée. L’écart entre ce qu’en dit les journaux et la réalité. Chemin faisant, cette démarche va lui permettre d’aborder la vision du poilu sur la baïonnette et plus généralement sur les discours officiels. Et là c’est intéressant car on découvre plusieurs choses.
Premièrement, l’énervement des combattants de tous grades sur ce qu’on dit à propos de cette arme et des effets supposés qu’elle a sur l’ennemi. Tous savent effectivement que l’ennemi ne fuit pas devant cette arme et qu’elle est peu utile. D’ailleurs, on va découvrir que la chanson Rosalie si elle fait plaisir à l’arrière ne fait pas la joie des poilus, puisqu’en effet pour ces derniers, usité et accepter cette dénomination c’est accepter tous les discours mensongers de l’état-major et les fausses représentations du front. Toutefois, comme va le souligner l’auteur la représentation de la baïonnette peut aussi exprimer l’envie de sortir de cette guerre qui s’éternise.
Et deuxièmement, on découvre aussi que la propagande n’est pas toute puissante, et j’avoue que j’ai particulièrement apprécié ce point, car on l’oublie parfois. Effectivement, avec la baïonnette, on a un bel exemple des désaccords qui règnent entre les discours officiels et plus personnels, qui trouvent aussi pour ces derniers leurs places dans les lettres des poilus comme dans les journaux. Ceci permet notamment de faire remarquer un point important de la mentalité des combattants qui veulent que l’arrière sache la réalité de cette guerre, la guerre des tranchées, celle où ils meurent et s’ennuient… Et des plumes plus ou moins professionnelles s’en font l’écho, on peut citer Gaston de Pawlowski, Paul Truffau, Léon Hudelle, Henri Barbusse... dans des journaux comme Le Journal mais aussi des livres par le biais des romans et témoignages.

Source: Externe
D'autres images sur ce cite très intéressant.
Pour ceux qui connaissent la Première Guerre mondiale, vous me direz qu’il existe aussi des témoignages qui parlent d’assaut à la baïonnette, d’exploits irrésistibles. C’est vrai. Mais l’auteur et les contemporains de 1914-1918, expliquent ceci par le fait que les poilus racontent ce que le public veut entendre et cherchent à se fondre dans l’idée dominante.

Ce que j’en pense :
J’ai adoré ce livre. Je ne pensais pas l’apprécier plus que ça, car la baïonnette, la guerre, les armes, ne sont pas mes sujets favoris en histoire, mais finalement je l'ai lu d'une traite. Ce dernier étant très accessible au lecteur lambda non spécialiste de ce sujet, je ne vois pas comment cela aurait été possible autrement de toute manière.
En outre, j'avoue que je suis admirative de voir comment en partant d'un objet emblématique, Cédric Marty est parvenu à aborder toute une époque sur pas mal de côté. J'en n'ai pas raconté les 3/4, mais sachez que jusqu'au bien de consommation il a élargi sa recherche ! Et pour moi cette immense base de recherche est réellement un signe de qualité du livre.

En résumé, c’est un livre à lire. Son sujet paraît aux premiers abords étonnant et on peut se demander ce qu’il y a à dire, mais à l’arrivée nous sommes bien servis et on en apprend énormément. Merci Monsieur.

Editions Vendémaire.

 

Note :

 

parfait

 

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